Racines de l'école
(citations, et extraits de textes de Freinet)
A l’heure où la « pédagogie Freinet » est si diversement interprétée, l’école qui fut ouverte par Élise et Célestin Freinet se doit de
rester une école de référence. Chacun pourra y apprendre à la source ce qui a été voulu par l’inventeur de l’éducation coopérative, source « qui n’est point une halte, mais une route qui
s’ouvre sur des horizons à conquérir ».
La pédagogie de l’École Freinet attend de chaque enfant qu’il exprime sa personnalité, en tenant compte de la collectivité à laquelle il
appartient. Cet équilibre entre l’individu et le groupe se réalise grâce à la coopération scolaire. Si l’on ne voyait dans cette pédagogie qu’un aspect « libéral », on en ferait un
système qui exalte et privilégie l’individu aux dépens du groupe, ce qui est contraire à la pensée de Freinet.
L’école fut d’abord un internat, actuellement la 1/2 pension y est obligatoire :
« Il n’y aura, à l’École Freinet, ni bonnes ni employés. Il y aura des camarades jeunes et des camarades adultes qui travailleront d’un
commun accord pour la plus grande harmonie de la communauté. Les enfants, aidés par les adultes, assureront toutes leurs besognes essentielles. Aucun maillon de la chaîne commune ne leur sera
inconnu : ils iront à la cuisine, au dortoir, à la lessive. Ils mettront le couvert à table, ils soigneront les quelques animaux ».
À l’École Freinet, l’enfant apprend à être autonome et responsable dans son travail scolaire, mais aussi dans ses activités
extra-scolaires ; il participe selon ses possibilités aux diverses tâches de la communauté : veiller au rangement et à la propreté des classes, mettre le couvert, servir à table, aider
à la vaisselle, au balayage, aux soins des animaux.
Cette autonomie se construit grâce à l’individualisation du travail. « Il faut perdre l’habitude de considérer que tous les enfants doivent
au même moment se livrer à la même occupation ; c’est là une conception autoritaire et contre nature. Le travail individualisé, ou par équipes d’affinité, sera journellement à la base de
l’activité scolaire. » À l’École Freinet, ce travail individualisé permet à chaque enfant de suivre les programmes scolaires nationaux à son propre rythme, grâce aux fichiers autocorrectifs, aux plans de travail, et au soutien permanent de l’enseignant.
L’École Freinet est centrée sur l’enfant. « Techniquement parlant, l’école traditionnelle était centrée sur la matière à enseigner et sur
les programmes qui la définissaient, la précisaient, et la hiérarchisaient. Aux maîtres et aux élèves de se plier à leurs exigences. Notre école est centrée sur l’enfant, membre de la
communauté. C’est de ses besoins essentiels, en fonction des besoins de la société à laquelle il appartient que découlent les techniques à dominer, la matière à enseigner. Il s’agit d’un
véritable redressement pédagogique et humain, qui doit permettre à l’enfant d’accéder, avec un minimum de puissance, à sa destinée d’homme. »
L’enfant construit lui-même sa personnalité avec notre aide. « Nous mettons l’accent, non plus sur la matière à mémoriser, sur les
rudiments de sciences à étudier, mais sur la santé et l’élan de l’individu, sur la persistance en lui de ses facultés créatrices et actives, sur la possibilité (qui fait partie de sa nature)
d’aller toujours de l’avant pour se réaliser en un maximum de puissance, sur la richesse du milieu éducatif. »
Mais cette école
n’ignore pas le sens de la discipline. « L’École Freinet ne sera nullement une école anarchique dans laquelle le maître ne parviendra pas toujours à maintenir sa nécessaire autorité. Elle
sera au contraire la mieux disciplinée qui soit, parce que supérieurement organisée. La discipline de l’école sera l’expression naturelle et la résultante de l’organisation fonctionnelle de
l’activité et de la vie de la communauté scolaire. (…) Dans la pratique, il ne faut pas trop compter sur les sanctions pour améliorer une situation quelle qu’elle soit. La critique collective, la
reconnaissance des fautes, le sentiment communautaire, le désir de mieux faire, se montrent en général suffisamment efficaces. La seule sanction régulière est ordinairement de réparer le mal, de
refaire ce qui a été défait, de nettoyer ce qui a été sali, d’aider à une tâche pour compenser le tort causé à la classe… »
La vie de l’école est régulée par l’utilisation d’un journal mural. « La lecture du journal
mural, est l’occasion d’une sorte de profond examen de la vie communautaire de l’école pendant la semaine écoulée ». La feuille elle-même est divisée en quatre rubriques ayant
respectivement pour titres : Je critique, Je félicite, Je voudrais, Je propose. « Sur ce journal, les élèves viennent au cours de la semaine inscrire librement leurs griefs, les
erreurs ou les fautes qu’ils constatent, dénoncer les insuffisances de tels services, ou de telle organisation (de même pour les félicitations)… Rien n’est plus moral et aussi profitable que cet
examen commun, à la fois critique et constructif, de la vie de la classe. Les conditions mêmes de cet examen collectif excluent toute tendance à la médisance, à la calomnie, à la méchanceté
mesquine. Car la mauvaise intention serait bien vite démasquée et ridiculisée. Les enfants font preuve, dans cette autocritique, d’une loyauté et surtout d’un courage étonnants. La camaraderie
elle-même ne joue que dans une faible mesure. On peut critiquer et rester pourtant excellent camarade si on est loyal, sincère et bon. »
La vie coopérative s’appuie pourtant sur l’individualisation du travail. « Il faut veiller non pas, comme on le supposerait, à ce que
l’élève n’en réduise pas malicieusement l’ampleur, mais au contraire à ce qu’il ne surestime pas ses capacités et sa force. Nous bénéficions là, en effet, d’une tendance qui n’est pas
particulière aux enfants. Quand nous rentrons de vacances, nous faisons, nous aussi, pour l’année qui commence, des projets qui, à l’usage, s’avèrent toujours exagérés. L’enfant procède de
même : il est large et généreux dans l’estimation de ses possibilités et nous bénéficions de cette disposition favorable dont il faudra éviter les excès. Car l’enfant se surmènerait, ou
aurait le sentiment désastreux de son impuissance et de son échec, toutes choses essentiellement nuisibles à l’œuvre éducatrice. À condition qu’il ait établi lui-même son plan de travail (avec l’aide de l’éducateur ou de camarades) dans le cadre de certaines nécessités dont il comprend ou admet l’urgence, l’enfant aura à cœur de
le terminer. Ne pas y réussir serait un grave échec qu’il ne veut pas encourir. » L’auto-contrôle de l’élève est établi avec l’enseignant et le groupe à l’aide d’un graphique présent sur la feuille du plan de travail, où sont retenus des critères permettant de réfléchir sur l’activité accomplie durant la période de
plan.
Tout cela contribue à l’éducation morale et civique du futur citoyen. « L’éducation civique, comme l’éducation morale, ne saurait se faire
par des leçons, par des règles apprises, ou même par l’énoncé de principes solennels. On peut connaître à la perfection le fonctionnement des institutions et n’en être pas moins un citoyen
déplorable. Comment préparons-nous le futur ?
- par l’organisation de la coopérative scolaire, au sein de laquelle les enfants s’entraînent à prendre des responsabilités
- par l’édition d’un journal scolaire qui initie les enfants au processus d’édition de journaux, et de ce fait, détruisent en eux le culte de la chose
imprimée qu’exploitent les politiciens
- par les échanges interscolaires nationaux et internationaux, qui élargit l’horizon des enfants et leur fait comprendre ce que doit être la solidarité et la
fraternité
- par l’organisation de rassemblements d’enfants sur le plan cantonal, puis départemental, national et international, présidés par un bureau d’élèves élus où
toutes les questions portées à l’ordre du jour sont effectivement discutées
Il n’y a pas de meilleure préparation au rôle de citoyen que cette pratique effective de la liberté, de la coopération et de la
démocratie. »
L’activité artistique est essentielle à la formation d’une personnalité ouverte. « Pour juger d’un dessin, il faut vous refaire une âme
neuve et sensible, et sentir, par-delà la maladresse du coup de crayon, la personnalité qui transparaît, une sensation fugitive qui s’exprime, un être qui se réalise et qui monte. Nous ferons une
place importante à ces réalisations artistiques : dessin, illustration de texte, peinture, gravure, chant, danse, théâtre, guignol. »
L’école sollicite toutes les personnes qui peuvent faire œuvre d’éducation en intervenant auprès des élèves. « Quand nous aurons un travail
délicat à faire au jardin, nous demanderons à un paysan habile de venir nous aider, nous enseigner et nous guider. Nous n’attendons pas de lui qu’il fasse un cours, mais seulement qu’il nous
montre comment il pratique. Quitte à compléter ensuite son apport technique par les explications théoriques ou les réserves scientifiques qui s’imposent. Mais cette activité deviendrait elle-même
un inutile et dangereux papillonnement si elle n’était ordonnée en vue d’une conception éducative tout entière basée sur l’éminente vertu du travail. » Il faut aussi que les parents d’élèves
considèrent comme naturelle leur collaboration à l’œuvre d’éducation. En classe, par la lecture du livre de vie, l’accès aux productions des enfants,
les dialogues avec les enseignants, la participation éventuelle à des ateliers, l’accompagnement lors des sorties ; et à la maison, par le suivi des plans de travail, la lecture des journaux
scolaires, la préparation des conférences. À l’école Freinet, les discussions autour des faits d’actualité, les échanges culturels avec les visiteurs
et les stagiaires, la correspondance interscolaire, les conférences d’enfants, les sorties éducatives et les enquêtes, les rencontres avec les intervenants, donnent à l’enfant une connaissance
vivante du monde dans lequel il vit.
Une sollicitude qui porte à faux (in : Essai de psychologie sensible)
« Il est des parents et des éducateurs qui n’ont aucune notion de l’importance formative souvent indélébile des tout premiers réflexes et
qui considèrent que l’éducation commence seulement à l’âge de conscience et de raison (entre 8 et 10 ans) et qu’on pourra alors former l’enfant comme on guide une machine sans tenir compte de
l’expérience passée.
Aujourd’hui, les parents se préoccupent davantage de leurs enfants que par le passé ; ils s’en préoccupent parfois trop, ou plutôt ils
rompent sans s’en rendre compte l’indispensable équilibre né des règles de vie. Et nous tombons alors dans les pires erreurs d’éducation, qui sont peut-être beaucoup plus qu’on ne croit à
l’origine du déséquilibre individuel contemporain.
On écrirait tout un livre sur la variété parfois cocasse des mécanismes anormaux imposés par les enfants à des parents faibles et inconscients.
Les conséquences en sont redoutables. L’enfant qui n’est pas dominé par une règle qui aurait l’implacabilité et l’éminence des lois naturelles, se fixe lui-même, au hasard des tâtonnements, une
règle à lui, qui est comme un pilier planté de travers pour son propre échafaudage.
C’est en pensant à toute cette sollicitude maternelle et paternelle qui s’exerce à faux, à cette faiblesse anormale dont l’enfant triomphe dans
sa recherche de la puissance pour imposé ses comportements tâtonnés, bien vite transformés en réflexes mécaniques, c’est en considérant ce désordre qui n’a plus le correctif de l’inéluctable
nécessité naturelle que nous disons : la plupart des parents ont cru parfois faire un pas vers une nouvelle éducation, mais ils ont fait un faux pas. Il faut absolument qu’ils comprennent
leur erreur, qu’ils ne se contentent pas de se serrer autour de l’enfant comme autour de la flamme qui les exalte un instant et les unit, mais qu’ils prennent conscience de l’équilibre et de
l’harmonie qu’ils doivent retrouver s’ils ne veulent pas que cette flamme mal orientée s’étende hors du foyer, cherchant, en vain parfois, un aliment, suscitant la lutte et le désordre, pour
mourir enfin d’inanition.
Le chemin de la vie n’est pas une route blanche et droite, mais un sentier rocailleux et accidenté auquel il faut être quelque peu habitué pour
ne point y sombrer. C’est rendre aux enfants le pire des services que de trop aplanir ce sentier, de le dégager et de l’élargir, en sacrifiant à l’apparent bonheur actuel la préparation active
aux lendemains décisifs. »
La vie se prépare par la vie (in : Les dits de Mathieu)
« Si vous craignez que votre fils se bosselle le front, déchire son tablier, se salisse les ongles et les mains, risque de tomber ou de se
noyer, enfermez-le dans votre salle à manger, confortablement, et tenez-le en laisse quand vous sortez.
(…) Posez tout autour de son activité particulière une série de barrières qui empêcheront votre petit homme de faire jouer ses muscles et ses
sens. Choisissez attentivement les discours que vous lui destinez et les livres qui lui donneront l’image toujours fausse, puisqu’elle n’est que l’image, de la vie qui l’appelle impérieusement.
Et restez insensibles aux regards d’envie qu’il jette sur les activités défendues, comme ces chevreaux qui, la tête entre les barreaux, tendent leurs regards vers la nature qui les attire…
Choisissez pour lui une école bien confortable, où l’on ne maniera ni marteaux, ni éprouvettes, où l’on ne se blessera pas avec la gouge qui
glisse malencontreusement sur le lino qu’on grave, où l’on ne salira pas ses chaussures à la boue des chemins ou à la terre des jardins.
Vous vous étonnerez ensuite, si votre enfant est maladroit de ses mains, hésitant dans ses jeux et ses travaux, inquiet et timide devant les
exigences de l’effort, désaxé dans un monde où il ne suffit pas de savoir lire et écrire, mais qu’il faut appréhender à bras le corps, avec décision et héroïsme.